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Quels sont les arguments économiques en faveur de l’investissement durable dans le secteur du vêtement?
Mesurer la valeur des pratiques de développement durable et leurs répercussions positives sur les résultats.
Pour aider les entreprises à rassembler des arguments économiques en faveur de l’investissement durable, le Center for Sustainable Business (CSB) de NYU Stern a élaboré le concept de rendement de l’investissement durable (RID; en anglais « Return on Sustainability Investment » ou ROSITM). La HSBC a parrainé des partenariats entre le CSB et plusieurs marques du secteur du vêtement, notamment Eileen Fisher, REI et Reformation, afin d’appliquer le concept de RID à leurs stratégies environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) et de faciliter ainsi le suivi des avantages financiers.
On trouvera ci-dessous un aperçu d’un entretien entre Eric Fisch, responsable national du secteur de la vente au détail et des vêtements pour la HSBC, Tensie Whalen, professeure clinique, affaires et sociétés, à NYU Stern ainsi que directrice fondatrice du CSB et Sophie Rifkin, directrice de la recherche et de l’engagement des entreprises au CSB, sur ce qu’ils ont appris de leur expérience.
La sensibilisation des consommateurs et la demande pour un développement durable sont en hausse
Selon le Programme des Nations Unies pour l’environnement, on estime que les textiles génèrent 20 % des eaux usées et 10 % des émissions de carbone mondiales. En plus de cette pollution, l’industrie du vêtement recèle des problèmes sociaux importants en amont, comme les pratiques de travail et de sécurité déficientes et les bas salaires. En aval, une quantité croissante de vêtements dont on ne veut plus aboutit dans des sites d’enfouissement chaque année.
Les consommateurs sont également de plus en plus sensibilisés à la question du développement durable au sein du secteur du vêtement et plus largement. C’est pourquoi, selon la professeure Whalen, le secteur s’applique depuis longtemps à investir dans des stratégies de développement durable essentielles et à les mettre en œuvre. Celles-ci consistent notamment à prendre des mesures pour améliorer la gestion de l’énergie, à mettre l’accent sur le bien-être des employés et des fournisseurs et à créer entre autres des programmes innovateurs en matière d’économie circulaire.
Le problème, explique-t-elle, est que, même si des recherches récentes montrent qu’il existe une forte corrélation entre de bonnes pratiques de développement durable et le rendement financier, la raison de ce lien n’est pas bien comprise. Dans le passé, les entreprises n’ont pas fait un suivi de leur performance et ignorent donc comment les pratiques durables créent de la valeur.
Pour en arriver là, M. Fisch dit que les entreprises ont besoin de directives supplémentaires. «En collaborant avec NYU Stern à des initiatives comme le RID, notre objectif est de donner à nos clients les outils pratiques dont ils ont besoin pour déterminer par eux-mêmes la meilleure façon d’investir dans des stratégies ESG pour que leur entreprise atteigne l’objectif de zéro émission nette, souligne-t-il.»
Il ajoute que c’est exactement ce que le RID vise à faire : aider les entreprises à cerner les avantages de l’investissement durable et en quantifier son rendement de façon à planifier une stratégie pour demain. «Mettre les clients sur les rails du développement durable permettra au bout du compte à la HSBC de réaliser l’un de ses principaux engagements en matière de développement durable, soit d’atteindre l’objectif de zéro émission nette pour ce qui est des émissions financées d’ici 2050, conclut M. Fisch.»
Application du RID aux marques de vêtements
Le CSB a défini huit stratégies que les entreprises du secteur du vêtement utilisent pour favoriser le développement durable. En étudiant Reformation, REI et Eileen Fisher, qui ont investi dans des stratégies différentes, le CSB a déterminé les pratiques que chacun d’eux avait mises en œuvre pour soutenir ses stratégies particulières. Grâce au RID, il a pu établir les avantages économiques de chaque pratique.
Les programmes de reprise peuvent-ils attirer de nouveaux clients?
Aujourd’hui, de nombreuses entreprises et marques de vêtements investissent dans l’économie circulaire par l’entremise de programmes de reprise et de solutions d’emballage ainsi que dans l’augmentation de la longévité des produits et la réduction des retours. Reformation, une marque de vêtements durables, favorise l’économie circulaire de diverses façons, notamment grâce à son partenariat avec ThredUp, une boutique de consignation et d’aubaines en ligne. Au début du processus, les gens envoient des vêtements légèrement usagés à ThredUp pour que celle-ci les revende ou les donne. Si ThredUp accepte les vêtements en vue de les revendre, les donateurs peuvent obtenir un crédit d’achat à utiliser sur le site Web de Reformation.
En appliquant le concept de RID, l’entreprise a calculé que son partenariat avait engendré un avantage net total de 1,5 million de dollars en 2019. Celui-ci provenait en partie des achats effectués avec les crédits gagnés, explique Mme Rifkin, et aussi de l’accès à une nouvelle clientèle. «En unissant ses efforts à ceux d’un partenaire orienté comme elle sur l’économie circulaire et le développement durable, Reformation a réussi à attirer un genre de client différent, qui n’avait peut-être jamais fait des achats chez elle auparavant.» Selon elle, cela lui a permis de réduire ses coûts de recrutement de clients. «De plus, le partenariat a attiré l’attention d’un plus grand nombre de médias de différents types sur l’économie circulaire, ce qui a aussi accru la valeur financière du programme.»
«Pour prendre des décisions, il est essentiel de comprendre la valeur de la stratégie de développement durable, explique M. Fisch. Si vous pouvez faire le suivi et quantifier le rendement du capital investi, vous prendrez des décisions plus éclairées et investirez davantage tout en progressant vers l’objectif de zéro émission nette.»
Les programmes de développement durable destinés aux employés se traduisent-ils par une plus grande productivité?
Le sentiment de poursuivre un objectif a toujours été à la base de la marque de vêtements et d’équipement de plein air REI. C’est pourquoi, entre autres stratégies, l’entreprise accorde beaucoup d’importance au bien-être des employés, en s’assurant d’une rémunération juste et d’une plus grande diversité ainsi qu’en donnant plus d’ampleur aux programmes de mobilisation des employés en matière de développement durable et en améliorant les avantages sociaux. En utilisant le RID pour mesurer ces pratiques, l’entreprise a constaté que celles-ci avaient réussi à accroître la productivité et à réduire les coûts de roulement. Le résultat a été un avantage net de 34 millions de dollars, soit environ 5 % de la paie.
«Nous l’avons observé dans de nombreuses entreprises, peu importe le secteur», affirme la professeure Whalen. «Lorsque le développement durable est intégré et que l’objectif est très clair, le taux de roulement est beaucoup plus faible et les employés sont plus mobilisés.» REI a également effectué auprès de ses employés des sondages exhaustifs qui ont confirmé la corrélation entre, d’une part, l’objectif défini et l’accent mis sur développement durable et, d’autre part, la conservation et la productivité des employés.
Quel rendement la réduction du bilan carbone peut-elle réellement produire?
L’amélioration de la gestion de l’énergie figure parmi les engagements climatiques de la marque de vêtements pour femmes Eileen Fisher. Son objectif stratégique est de diminuer ses émissions de gaz à effet de serre et de réduire le bilan carbone de sa distribution. Pour ce faire, elle a mis en place plusieurs pratiques internes et externes, dont une utilisation réduite du fret aérien. Elle a commencé par rediriger une partie de sa distribution vers le transport terrestre et maritime, dont le bilan carbone est plus faible que celui du transport aérien.
Grâce au RID, le CSB a été en mesure de quantifier ce changement et de montrer que l’entreprise avait dépensé 1,6 million de dollars de moins pour le transport en 2019 qu’en 2015. Même s’il a constaté une hausse globale des coûts de distribution en 2020, le fret aérien ayant presque triplé à cause de la COVID-19, les dépenses de l’entreprise ont augmenté beaucoup moins que celles de certains de ses concurrents, parce qu’elle avait déjà amorcé la transition vers d’autres modes de distribution. «Je pense que cela montre que nous pouvons considérer certains de ces enjeux du développement durable également comme un moyen de planifier des scénarios à long terme en matière d’atténuation des risques et de gestion de la volatilité», affirme la professeure Whalen.
Bien sûr, la fiabilité des résultats produits par le RID dépend de l’étendue et de la qualité des données dont on dispose, selon Mme Rifkin. «Un engagement interfonctionnel au sein de l’entreprise est essentiel», affirme-t-elle. Pour ce faire, REI devait mobiliser les ressources humaines, les finances et le développement durable, tandis que chez Eileen Fisher, il fallait réunir la logistique, le transport, le financement et le développement durable. «Cela ne veut pas dire que ces groupes ne se parlent pas – ce n'est d’ailleurs pas le cas –, mais il s’agit plutôt de partager les données de façon différente», explique Mme Rifkin. M. Fisch est d’accord et déclare que bien souvent, les équipes du développement durable et des finances ne sont pas toujours sur la même longueur d’onde. «Grâce aux résultats du RID, une entreprise peut démontrer les retombées financières de telles initiatives afin que les décideurs puissent les appuyer.» La professeure Whalen ajoute que la découverte de la valeur intrinsèque des enjeux ESG est un élément crucial. «Pour l’instant, les investisseurs demandent qu’on prenne en compte les facteurs ESG ou les paramètres financiers, mais ils n’associent pas les deux aspects», explique-t-elle. Cela va probablement changer, lorsque les investissements seront davantage orientés vers des transformations liées au développement durable; la question deviendra alors : ‘Quel rendement peut-on obtenir?’.
«Je pense que nous n’apercevons que la pointe de l’iceberg et que le concept que nous avons élaboré à l’intention du secteur du vêtement sera suivi d’outils de monétisation analogues pour d’autres secteurs», explique Mme Rifkin.